Arabes et musulmans : entre l’imposition de coûts à Israël et l’émancipation de l’hégémonie américaine

15:01 - September 19, 2025
Code de l'info: 3493435
IQNA-Le monde arabe et musulman traverse une phase charnière où la sécurité collective, la souveraineté et la dignité nationale sont mises à l’épreuve.

Le professeur Hakim Qarib, expert algérien des affaires stratégiques et sécuritaires a écrit : les agressions israéliennes, qui dépassent désormais le cadre des territoires palestiniens, touchent des États médiateurs tels que le Qatar et révèlent une volonté de dissuasion élargie, fondée sur la violence et l’impunité.

Cette situation soulève une interrogation fondamentale : les pays arabes et musulmans sont-ils capables de transformer leur colère en stratégie, et leurs discours de solidarité en politiques concrètes qui imposent un coût réel à Israël, tout en se libérant de la tutelle américaine ?

Le sommet extraordinaire de Doha apparaît ainsi comme un test historique. Il ne s’agit plus seulement de publier des communiqués de condamnation, mais de mettre en œuvre des mécanismes collectifs capables de redessiner les équilibres régionaux et d’ouvrir la voie à une autonomie décisionnelle arabe et islamique.

Trois axes dominent ce débat : la nécessité d’imposer des coûts tangibles à Israël, l’impératif de se libérer de l’hégémonie américaine et enfin, la portée stratégique et symbolique du sommet de Doha comme épreuve de crédibilité.

Imposer des coûts réels à Israël : de la théorie à l’action

La notion d’« imposition de coûts » constitue un pilier central de la pensée stratégique moderne. Elle signifie qu’un acteur agressif doit sortir perdant de ses actions, car les dommages subis dépassent les gains espérés. Or, Israël poursuit une politique de recours à la force illimitée, renforcée par le parapluie protecteur des États-Unis, qui lui assure une quasi-immunité face aux sanctions internationales. Les condamnations verbales et les communiqués diplomatiques n’ont pas suffi à enrayer cette logique.

Les pays arabes et musulmans disposent pourtant d’atouts considérables pour transformer leur potentiel en leviers concrets. Sur le plan économique, les ressources énergétiques, les vastes marchés de consommation et les capacités financières du Golfe offrent des moyens de pression redoutables si elles sont mobilisées collectivement. Par exemple, une stratégie coordonnée sur les prix de l’énergie ou sur les investissements internationaux pourrait constituer un signal puissant.

Sur le plan diplomatique, les organisations régionales et internationales, telles que la Ligue arabe et l’Organisation de la coopération islamique, peuvent former un front commun pour isoler Israël. La relance de démarches juridiques auprès de la Cour pénale internationale et l’intensification des votes défavorables à Israël aux Nations unies renforceraient cette dynamique. Enfin, le soutien renforcé à la résilience palestinienne, qu’il soit financier, humanitaire ou sécuritaire indirect, contribuerait à limiter l’emprise exclusive d’Israël dans la région.

Cependant, plusieurs obstacles freinent l’efficacité de ces options. Les divisions internes persistent : certains États ont opté pour la normalisation avec Israël, tandis que d’autres prônent encore la confrontation. Les pressions américaines et européennes, qui vont jusqu’à menacer de sanctions les pays désireux d’emprunter une voie alternative, constituent un autre verrou. Enfin, les lourdeurs institutionnelles et bureaucratiques des instances arabes réduisent souvent les décisions à de simples déclarations finales sans traduction concrète.

Malgré ces difficultés, la nécessité d’imposer un coût à Israël demeure impérieuse. Il s’agit d’une condition pour rompre le cycle de l’agression impunie. Mais cette démarche ne peut aboutir qu’en parallèle d’un second axe : la remise en cause de l’hégémonie américaine, véritable pilier du statu quo.

Rompre avec l’hégémonie américaine : vers une autonomie stratégique

Le conflit israélo-arabe ne peut être compris indépendamment du rôle central des États-Unis. Depuis la Seconde Guerre mondiale, Washington a fait d’Israël son allié stratégique au cœur du Moyen-Orient, lui garantissant un soutien militaire massif, une couverture diplomatique systématique et une protection économique durable. Cette alliance asymétrique a transformé les équilibres régionaux, au point que nombre de décisions arabes ont fini par s’aligner sur la volonté américaine.

Cette hégémonie se manifeste de plusieurs manières. Sur le plan militaire, les bases américaines déployées du Golfe au Levant constituent autant de points d’appui destinés à protéger Israël autant qu’à sécuriser les intérêts de Washington. Sur le plan économique, le rôle du dollar et des régimes de sanctions maintient une dépendance structurelle. Politiquement, les États-Unis monopolisent le « processus de paix », imposant un rythme de négociation qui marginalise les droits palestiniens tout en consolidant la supériorité israélienne.

Face à cette réalité, l’émancipation devient une condition préalable à toute stratégie arabe et islamique crédible. Cette indépendance ne signifie pas nécessairement une rupture totale avec Washington, mais plutôt une diversification des partenariats. L’ouverture vers d’autres pôles de puissance – Chine, Russie, pays émergents du Sud – permettrait de créer un jeu d’équilibre capable de réduire l’emprise américaine.

Sur le plan économique, la promotion de circuits financiers alternatifs et la recherche d’une relative autosuffisance seraient des étapes cruciales pour desserrer l’étau du dollar et des sanctions. De même, un renforcement de la coopération Sud-Sud offrirait des alternatives réelles.

Par ailleurs, les sociétés civiles arabes et musulmanes représentent un levier encore sous-utilisé. Les pressions populaires peuvent pousser les élites politiques à adopter des positions plus indépendantes. L’exemple turc, qui combine appartenance à l’OTAN et divergences régulières avec Washington, ou encore la capacité de l’Iran à contourner partiellement les sanctions, illustrent des modèles d’autonomie relative.

Rompre avec l’hégémonie américaine n’est donc pas un choix secondaire mais une exigence parallèle et complémentaire à l’imposition de coûts à Israël. Sans ce double mouvement, les actions entreprises risqueraient de demeurer symboliques et inefficaces.

Le sommet de Doha : un test de crédibilité historique

Le sommet extraordinaire arabe et islamique de Doha ne peut être considéré comme une simple réunion conjoncturelle. Sa portée dépasse largement l’événement ponctuel, car il intervient dans un contexte où Israël a directement attaqué un pays médiateur, le Qatar, tout en menaçant d’autres capitales arabes. En ciblant un acteur reconnu pour son rôle de médiation, Israël a voulu envoyer un message clair : aucun État arabe ou musulman n’est à l’abri de représailles s’il s’oppose à sa politique.

Dès lors, le sommet de Doha représente bien plus qu’un rendez-vous diplomatique. Il est devenu une épreuve de crédibilité. D’un côté, il peut incarner une étape décisive vers une stratégie arabe et islamique intégrée, capable de lier solidarité politique et actions concrètes. Dans ce scénario, des mesures tangibles seraient adoptées : activation d’instruments économiques de pression, coordination diplomatique internationale, mécanismes de protection des médiateurs régionaux et remise en question des relations sécuritaires avec les États-Unis.

De l’autre côté, le sommet risque de se limiter à un rituel de déclarations. Dans ce cas, Israël interpréterait l’absence d’actions concrètes comme un feu vert implicite pour poursuivre ses politiques agressives, renforçant ainsi le cycle d’impunité.

La valeur symbolique du sommet est déjà forte : la tenue d’une telle réunion envoie au monde un signal d’unité arabe et islamique. Mais seule une traduction pratique – juridique, économique et sécuritaire – pourra transformer ce moment en tournant historique. Le défi est donc de passer du registre des slogans à celui des décisions exécutoires, capables de modifier durablement les équilibres de pouvoir dans la région.

Conclusion

L’heure actuelle constitue une croisée des chemins pour le monde arabe et musulman. Le sommet extraordinaire de Doha ne peut être réduit à une simple rencontre protocolaire : il incarne un test décisif. Les dirigeants doivent choisir entre la perpétuation d’un cycle d’impuissance et la mise en place d’une véritable stratégie de dissuasion et d’indépendance.

Deux conditions apparaissent indissociables : l’imposition de coûts concrets à Israël, afin de briser la logique de l’agression sans conséquences, et la libération progressive de l’hégémonie américaine, qui a trop longtemps dicté les limites de l’action arabe et islamique.

Si ce double mouvement est engagé, Doha pourrait marquer le début d’une ère nouvelle, où les États arabes et musulmans réaffirment leur souveraineté et redéfinissent leur rôle dans le système international. Dans le cas contraire, le sommet ne sera qu’une étape de plus dans la longue liste des occasions manquées, laissant perdurer l’impunité israélienne et la dépendance à Washington.

Le moment exige des décisions audacieuses et durables, capables de transformer la colère en stratégie et les discours en action. L’histoire retiendra si Doha a été un simple épisode ou bien le point de départ d’une mutation profonde dans l’équilibre régional.

4305205

captcha